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Je suis une femme trans, ce qui ne m’empêche pas de m’assumer comme biologiquement mâle

Nous [les femmes trans] ne devrions pas avoir besoin de prétendre que nous sommes des femmes (pour nousmêmes ou pour quelqu’un d’autre) afin de trouver un soulagement à la dysphorie de genre

En obligeant les gens à dire que les « femmes trans sont des femmes », nous ne faisons pas que trahir la science, nous trahissons aussi la démocratie. Le retour de bâton s’annonce violent.

Que les sentiments et les opinions aient remplacé les faits et les données probantes dans bien des quartiers des sciences sociales et humaines, voilà un phénomène qui n’est pas nouveau. Ce qui est plus récent, par contre, c’est l’extension de ce mouvement à la biologie, désormais victime de l’idée que les hommes pourraient devenir des femmes – et vice versa – uniquement en le disant tout haut. Un mouvement particulièrement insidieux en ce qu’il combine le mépris postmoderne pour la vérité objective et les superstitions religieuses prémodernes relatives à la nature de l’âme humaine.

Cette subordination de la science au mythe s’illustre dans le cas désormais célèbre de Maya Forstater, cette femme britannique ayant perdu son emploi en 2019 après avoir pointé la vérité, évidente, que les personnes transgenres (comme moi) ne peuvent changer de sexe biologique par la seule force d’une proclamation.

« Je conclus de […] l’ensemble des preuves que [Forstater] a une vision absolutiste du sexe et que le fait de désigner une personne par le sexe qu’elle considère comme approprié est un élément essentiel de sa conviction », avait conclu le juge James Tayler lors de l’audience d’un tribunal du travail londonien. « Cette approche n’est pas digne de respect dans une société démocratique ».

Je ne sais pas trop ce que cela fait de moi, personne transgenre britannique qui suis du même avis que Forstater. Comme je le sais mieux que quiconque, le sexe est immuable. Certes, j’ai effectué une transition sociale, médicale et chirurgicale, mais je suis aujourd’hui aussi mâle que je l’étais le jour de ma naissance (et le jour de la naissance de mes trois enfants, qui m’ont fait devenir père).

En tant que scientifique, je sais qu’il s’agit également d’un fait. L’absolutiste dans cette histoire, c’est le juge Tayler : sous couvert de tolérance, il aura donné force de loi à un mouvement sectaire traitant la réalité biologique de la même manière que l’Église catholique traitait autrefois Galilée et ses idées héliocentriques. Et à l’instar de ses ancêtres médiévaux, cette croisade néoreligieuse exige la soumission de ses adeptes à une liturgie absurde. Il faut qu’ils psalmodient : « les femmes trans sont des femmes et les hommes trans sont des hommes ».

Aujourd’hui, bien des lecteurs sauront quels sont les éléments de base de ce système dogmatique et contraignant, que l’on désigne parfois comme l’« idéologie du genre » et que beaucoup de pays ont fait entrer dans leurs lois par le biais de textes sanctionnant « l’auto-identification » ou « l’autodéclaration ». En voici les grandes lignes :

  • nous avons tous une identité de genre innée – analogue à l’étincelle divine que les religieux voudraient loger en nous – déterminant si nous sommes un homme, une femme ou une personne non binaire ;
  • un genre (susceptible d’être incorrect) nous est arbitrairement attribué à la naissance sur la base de l’apparence de nos organes génitaux ;
  • la détermination de notre genre véritable se fait en notre for intérieur et, une fois découvert, nul ne pourra jamais le contredire ni même le contester ;
  • tout adulte humain affirmant « je suis une femme » doit être traité comme s’il était une femme biologique, point 􀀃nal. D’où sa nécessaire admission dans des espaces à la fois réservés aux femmes et où elles peuvent être vulnérables – soit, notamment, les cellules de prison collectives, les centres d’aide aux victimes de viols, les vestiaires et les événements sportifs ;
  • l’opposition à l’une des propositions ci-dessus relève de la transphobie, soit l’un des pires crimes de haine qui soient.

Le problème le plus évident de l’idéologie du genre est son caractère entièrement circulaire. Cela reviendrait à dire d’une personne qu’elle est pilote de ligne simplement parce qu’elle se « sent » capable de piloter un avion. Par exemple, quand le Massachusetts a voulu inscrire la notion d’identité de genre dans sa législation, telle est la meilleure définition qu’ils ont pu trouver : « identité, apparence ou comportement liés au genre d’une personne, que cette identité, apparence ou comportement liés au genre soient ou non différents de ceux traditionnellement associés à la physiologie de la personne ou au sexe qui lui a été assigné à la naissance ».

En outre, lorsque les gens essayent de contourner cette circularité, et de détailler ce que signifie « se sentir femme » à leurs yeux, ils se contentent en général d’un catalogue de stéréotypes sexistes. Comme le fait d’avoir toujours eu envie de porter des robes ou d’avoir joué à la poupée dans leur enfance.

Oui, la dysphorie de genre est un phénomène bien réel. Si je le sais, c’est parce que j’en suis atteinte : j’ai le sentiment que ma biologie masculine est en contradiction avec mon désir d’avoir un corps féminin. Sauf que je n’ai pas besoin d’inventer une force spirituelle mystique appelée « identité de genre » pour l’expliquer.

Tout comme il n’y a pas de cause unique aux douleurs thoraciques ou aux maux de tête, rien ne dit que la dysphorie de genre ait une cause unique. Mais nous disposons d’une typologie bien documentée. Dans les années 1980, le sexologue américano-canadien Ray Blanchard postulait que le transsexualisme (le terme communément employé à l’époque) se traduisait en général chez les hommes soit :

  1. avec des hommes gays efféminés cherchant à accentuer leur attrait pour les autres hommes (« transsexualisme homosexuel ») ou
  2. avec des hétérosexuels autogynéphiles – des hommes attirés par euxmêmes se concevant comme des femmes – qui, le plus souvent, s’affirment comme des femmes transgenres à l’âge adulte (et souvent à la grande surprise de leur famille et de leurs amis).

Les militants trans les plus virulents et les plus agressifs – des hommes biologiques vertement opposés aux femmes rappelant l’importance de la biologie – semblent se ranger de manière disproportionnée dans cette seconde catégorie, celle des autogynéphiles.

Chez les femmes, le transsexualisme est visiblement assez différent en ce qu’il relève davantage de facteurs socialement propagés, comme l’indique la récente et considérable augmentation du nombre d’adolescentes orientées vers des cliniques d’identité de genre (parfois dans un phénomène d’auto-renforcement au sein de groupes d’amis ou de camarades de classe).

En outre, les filles se présentant comme « transgenres » sont aujourd’hui, et de manière disproportionnée, autistes ou atteintes d’autres troubles du développement et de problèmes de santé mentale – soit un phénomène cohérent avec l’idée que de nombreux adolescents transgenres ne sont pas mus par un mystérieux champ de force genré.

Reste que consigner de tels faits dans la littérature scientifique demeure une entreprise pour le moins ardue. Lisa Littman, de l’université Brown, fut la première à publier sur la « dysphorie de genre à apparition soudaine » (ou ROGD). Elle fut conspuée comme « transphobe » et essuya une campagne massive et concertée de disqualification de ses recherches. Selon les scientifiques travaillant dans ce domaine, il serait relativement facile de faire publier une étude si elle va dans le sens de l’« affirmation » de genre, mais difficile, voire impossible, si les données mènent à une autre conclusion.

Comme je l’ai déjà indiqué, ma propre expérience m’amène à penser que les efforts visant à protéger l’idéologie du genre de la critique sont le plus vigoureusement menés par une sous-section, spécifique et identifiable, de la communauté transgenre. Il est courant, pour les hommes autogynéphiles se déclarant brusquement trans, d’éprouver un sentiment d’insécurité, voire de honte, d’autant plus que le processus de transition peut avoir un effet traumatisant sur leurs familles.

Exiger que le monde les reconnaisse comme de véritables femmes est une stratégie visant à les décharger de toute responsabilité. Si le genre est une qualité innée, comme la taille ou l’orientation sexuelle, comment peuvent-ils en être moralement responsables ? L’idéologie du genre a tout d’un outil qui leur sert à légitimer ce réflexe émotionnel. Du rejet soudain de leur ancienne vie, ils font une expédition mystique vers la vérité de leur âme genrée.

Cela va sans dire : les adultes sont tout à fait libres d’agir de la sorte – et de s’expliquer auprès de leurs amis et de leurs proches comme il leur sied. Malheureusement, ce mysticisme du genre est romancé d’une manière à rendre la transformation attrayante pour les enfants, en particulier ceux ayant du mal avec leur identité et leurs relations.

Je parle d’expérience quand je dis qu’il est difficile pour les autogynéphiles d’admettre la simple vérité qu’ils sont des hommes hétérosexuels pour qui la notion d’auto-identi􀀃cation féminine est un moyen de rationaliser leur attirance sexuelle pour une version féminine d’eux-mêmes. Comme tout sexologue pourrait en attester, les gens ont souvent honte de leurs penchants sexuels inhabituels. La honte est une émotion puissante, et celui qui en sou􀀂re sera souvent amené à contrôler son récit de manière à protéger son estime de soi.

C’est bien l’autogynéphilie qui a été le moteur de mon propre transsexualisme. Et je peux attester qu’il existe une énorme dissonance mentale dans le cerveau d’un mâle humain qui, d’une manière ou d’une autre, est hétérosexuellement attiré par son propre corps. Un paradoxe qui peut avoir un effet dévastateur sur la santé mentale. Je peux également attester que le processus de réassignation sexuelle est susceptible d’atténuer cette dissonance. Dans ma critique de l’idéologie du genre, il ne faut en aucun cas voir un argument pour priver les mâles humains comme moi de ces thérapies.

Au lieu de vouloir protéger la fragilité émotionnelle des personnes qui ne veulent pas creuser la nature de leur autogynéphilie, une meilleure stratégie consisterait à simplement démystifier et déstigmatiser l’autogynéphilie (tout comme nous avons démystifié et déstigmatisé un certain nombre de paraphilies sans victime), tout en veillant à ce que des thérapies soient disponibles pour les adultes transgenres bien conscients de leurs possibles et lourdes conséquences médicales. Nous ne devrions pas avoir besoin de prétendre que nous sommes des femmes (pour nousmêmes ou pour quelqu’un d’autre) afin de trouver un soulagement à la dysphorie de genre.

Le transvestisme – ou travestissement, comme on le désignait jadis – est plus répandu qu’on ne l’imagine. Selon une étude de 2005, publiée dans le Journal of Sex and Marital Therapy, près de 3 % des hommes suédois déclarent avoir vécu au moins un épisode de fétichisme travesti. Bien sûr, un homme qui aime s’habiller en femme n’est pas forcément une femme trans. Mais comme l’autogynéphilie est associée au besoin de s’habiller en femme et de féminiser son corps, il est impossible de faire une distinction nette entre les deux. (D’où cette blague qu’on se racontait dans le temps : « Quelle est la différence entre un travesti et un transsexuel ? Grosso modo cinq ans »).

Malheureusement, bien des militants trans préfèrent tirer sur le messager, et tout un appareil de censure et d’ostracisme a été créé pour punir tous ceux qui contesteraient les postulats fondamentaux de l’identité de genre.

Ma propre identité de femme trans ne m’a pas protégée de ce régime de censure. J’ai été exclue et humiliée pour mes déclarations politiques. Mon employeur et mes associations professionnelles ont été contactés par des militants prétendant que mes opinions politiques devraient m’empêcher de travailler avec des enfants (je suis enseignante) ou de représenter mes collègues. Une campagne numérique ciblant mon école prétendait exprimer une « profonde inquiétude face au harcèlement continu et à l’intolérance de Debbie Hayton vis-à-vis des femmes transgenres sur Twitter. Elle provoque des sentiments anti-trans et n’est pas représentative de la communauté transgenre. Elle a pris le parti de plusieurs groupes pseudo-féministes et anti-trans ».

Il n’y a pas si longtemps, nous vivions vraiment dans une société transphobe, où les personnes comme moi étaient harcelées (ou pire) dans l’espace public. Et la violence transphobe n’a évidemment pas encore totalement disparu. Dans les cas les plus extrêmes, les trans sont agressés physiquement, voire tués, en raison de leur identité.

Mais au quotidien, ce que bien des personnes transgenres craignent aujourd’hui davantage, pour leur réputation et leurs moyens de subsistance, c’est la menace inverse. Elles ont peur de dire ce qu’il ne faut pas – des propos fondés sur la vérité et la science – sur ce que nous sommes. Et, parmi nous, une minorité aussi militante que particulièrement agressive a trouvé le moyen d’enraciner un mensonge au coeur même de notre débat public sur le genre. Pourquoi ? Seulement parce que cela leur permet de se sentir mieux.

Mais pour le reste de la société, l’acceptation de ce mensonge n’est pas seulement une trahison de la science, mais aussi de la démocratie. Il nous faut oeuvrer à rétablir une attitude d’honnêteté avant que les femmes, les enfants et les personnes transgenres n’en pâtissent davantage. Car lorsque la société se rendra compte que l’idéologie du genre ne repose sur aucune base rationnelle, le retour de bâton risque de faire effectivement très mal.


Par Debbie Hayton (traduction par Peggy Sastre)

Debbie Hayton enseigne la physique dans le secondaire, où elle est aussi syndicaliste. Son dernier livre Transsexual Apostate : My Journey Back to Reality vient de sortir chez Forum Press. Vous pouvez la suivre sur X (ex-Twitter).

* Cette traduction a été publiée pour la première fois par Le Point le 15 avril 2024 : Je suis une femme trans, ce qui ne m’empêche pas de m’assumer comme biologiquement mâle.

** Cet article est paru dans Quillette. Quillette est un journal australien en ligne qui promeut le libre-échange d’idées sur de nombreux sujets, même les plus polémiques. Cette jeune parution, devenue référence, cherche à raviver le débat intellectuel anglo-saxon en donnant une voix à des chercheurs et des penseurs qui peinent à se faire entendre. Quillette aborde des sujets aussi variés que la polarisation politique, la crise du libéralisme, le féminisme ou encore le racisme. Le Point publie chaque semaine la traduction d’un article paru dans Quillette.

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By Debbie Hayton

Physics teacher and trade unionist.

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