Excédés par les dérives du mouvement LGBTQIA + et la domination des thématiques trans, des gays, lesbiennes et bisexuels ont décidé de se regrouper pour défendre leurs droits.
Partout dans le monde, des groupes de lesbiennes, gays et bisexuels en ont ras le bol. Sauf que cette fois, leur exaspération n’a pas comme objet les homophobes ni les régimes qui leur interdisent d’aimer une personne du même sexe. Dans leur viseur : les organisations censées les défendre, comme ILGA-Europe ou IGLYO. Il n’y a pas encore si longtemps, les lettres « L » (lesbiennes) et « G » (gays) étaient leur raison d’être, aujourd’hui, plus vraiment.
Depuis plus de dix ans, trop d’organisations LGBTQIA + ont braqué l’essentiel de leur attention sur le « TQIA + ». En tant que transsexuelle, je peux ajouter qu’elles ont été bien peu présentes pour les gens qui, comme je l’ai fait, veulent simplement changer de genre et se réinsérer dans la société le plus discrètement possible. Mais il ne s’agit pas de moi : il s’agit de mes amis gays et lesbiennes à qui l’on a bien trop souvent répété qu’« il n’y a pas de LGB sans T ». Eh bien, désormais, si. Ce samedi, LGB International a proclamé son « indépendance ».
La mission affichée de LGB International est claire et précise : « promouvoir et défendre les droits et les intérêts des lesbiennes, des gays et des bisexuels », et mener ce combat « en se fondant sur la réalité du sexe biologique ». Qui pourrait s’y opposer ? Le travail à accomplir reste immense dans bien des régions du monde : les relations sexuelles entre adultes consentants du même sexe y sont encore hors la loi dans des dizaines de pays, et même passibles de la peine de mort dans certains.
Sauf qu’en Europe de l’Ouest comme en Amérique du Nord, LGB International devra sans doute affronter un autre visage de l’autoritarisme : celui de militants aux cheveux bleus, prompts à se dire « queer » et à se poser en victimes, mais dont les revendications, sous couvert de libéralisme et de progressisme, sont d’une intransigeance totale.
Naissance à Londres
Il y a six ans, l’Alliance LGB – aujourd’hui branche britannique de LGB International – voyait le jour à Londres, à l’initiative de deux lesbiennes, Kate Harris et Bev Jackson. Toutes deux s’étaient engagées de longue date pour les droits des gays et des lesbiennes. Harris avait été bénévole chez Stonewall, tout en gagnant sa vie comme cadre chez American Express. Jackson, quant à elle, avait compté parmi les membres fondatrices du Front de libération gay britannique en 1970.
Le fait est qu’en 2019, Stonewall semblait davantage tourné vers les droits des personnes transgenres, notamment la revendication de la modification du sexe légal par auto-identification. Harris, Jackson et d’autres vont alors rappeler à l’organisation ses origines, mais se heurtent à un mur. Ils décident alors de lancer la LGB Alliance. L’histoire démarre le 22 octobre 2019, lors d’un meeting au Conway Hall, en plein cœur de Londres, rassemblant près de 80 militants et sympathisants.
La confidentialité est totale, y compris entre amis qui s’embrassent en arrivant sans savoir qui figure sur la liste des invités. Une précaution bien avisée. Car les retombées de la réunion sont féroces : sur les réseaux sociaux et dans le monde politique, on crie au scandale. Même le nom est cloué au pilori. Quand les personnes transgenres ont toute latitude pour se focaliser sur leur « T », on en veut aux LGB de se limiter à leurs trois lettres.
Sabbat de sorcières
Sur les réseaux sociaux, certains internautes imaginent peut-être un sabbat de sorcières « anti-trans » complotant pour faire disparaître les personnes transgenres. Rien n’est plus éloigné de la réalité. Car dans la salle, il y avait au moins trois personnes transgenres, dont moi, et une autre qui prendra la parole depuis la tribune. L’essentiel de l’opprobre visait Allison Bailey, avocate pénaliste assise juste devant moi. Son crime ? Avoir publié un tweet disant « Moment historique pour le mouvement lesbien, gay et bisexuel : la LGB Alliance vient d’être lancée ce soir à Londres et nous ne sommes pas là pour la rigolade. Faites passer le mot : l’extrémisme du genre aura bientôt un adversaire à sa mesure. »
Sur Twitter, les outrances de comptes anonymes suivis par une poignée d’abonnés ne surprennent personne. Mais il ne faudra pas longtemps pour que des personnalités plus en vue s’en mêlent. Le chroniqueur Owen Jones (The Guardian) va reprendre le tweet d’Allison Bailey et le relayer à ses centaines de milliers d’abonnés avec ce commentaire : « C’est effrayant et odieux. Il n’y a pas de LGB sans T. Les personnes transgenres font partie intégrante de notre communauté et de notre mouvement. Toute tentative de diviser les LGBTQ +, aidée et encouragée par les médias de droite, est vouée à l’échec. »
Les personnes LGB et « T » partagent certes une cause commune – l’homophobie et la transphobie se recoupent souvent –, mais leurs priorités militantes ne sont pas les mêmes. D’ailleurs, il existe déjà de nombreux groupes centrés sur les questions transgenres, comme TGEU (Transgender Europe), une organisation européenne de défense des droits des personnes transgenres. Si TGEU peut défendre un monde où les personnes transgenres sont valorisées, sans jamais mentionner les LGB, pourquoi les organisations LGB n’auraient-elles pas, elles aussi, le droit de se concentrer sur leurs propres droits sans faire référence au « T » ?
Nouveau nom, vieux militants
LGB International est un nom nouveau, mais pas ses membres. Aux côtés de la LGB Alliance au Royaume-Uni, d’autres organisations affiliées existaient déjà. Frederick Schminke, aujourd’hui président de LGB International, avait lui-même créé l’Alliance LGB en France en 2024 pour défendre les droits fondés sur le sexe.
Sans nul doute, cela provoquera encore plus de mécontentement et de consternation chez les personnes trans et queer qui estiment que le monde devrait tourner autour d’elles. Sauf que non, et il faut qu’elles saisissent que certaines campagnes menées par les organisations LGBTQIA +, en accumulant des sigles toujours plus longs, ont déjà nui aux intérêts des gays et des lesbiennes. Chez les lesbiennes, par exemple, on s’attend désormais à ce qu’elles intègrent de soi-disant « femmes trans » dans leurs groupes, alors que beaucoup ont toujours l’apparence, la voix et les comportements d’hommes…
Qui plus est, si la « diversité » dans « Égalité, diversité et inclusion » doit être prise au sérieux, alors elle doit aussi englober autant la diversité des opinions individuelles que celle des organisations. LGB International a toute sa place parmi les groupes militants. Souhaitons-lui la bienvenue.
Par Debbie Hayton (traduction par Peggy Sastre)
Debbie Hayton enseigne la physique dans le secondaire, où elle est aussi syndicaliste. Journaliste et autrice, son dernier livre, « Transsexual Apostate : My Journey Back to Reality », a été publié en 2024 chez Forum Press. Vous pouvez la suivre sur X (ex-Twitter).
* Cette article a été publiée pour la première fois par Le Point le 22 septembre 2025 : LGB International : le schisme dans la galaxie arc-en-ciel qui vient de loin.