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Polémique à Londres après l’arrestation d’un humoristeirlandais pour des tweets antitransgenres

Sans liberté d’offenser, il n’y a tout simplement pas de liberté d’expression.

Trois posts sur X ont suffi pour envoyer Graham Linehan, scénariste et réalisateur irlandais, en cellule. L’épisode choque l’opinion et relance le débat sur la censure au Royaume-Uni.

Si vous avez l’intention de vous rendre au Royaume-Uni, vous feriez bien de jeter un œil, et appuyé, à vos réseaux sociaux avant de monter dans l’avion pour Londres. Lundi 1er septembre, Graham Linehan, humoriste irlandais, a été arrêté par cinq policiers armés à son arrivée à Heathrow, et placé en garde à vue. Son délit présumé ? Trois messages publiés sur X (ex-Twitter) dans lesquels il semblait s’en prendre aux militants transgenres.

Selon ce qu’en raconte Graham Linehan lui-même, la police l’aurait isolé des autres passagers avant de lui signifier son arrestation pour trois tweets publiés en avril. Des posts qui n’avaient ciblé personne précisément, sauf que quelqu’un, quelque part, s’était senti offensé.

Graham Linehan arrêté pour trois tweets

Le premier message s’accompagnait d’une photo visiblement prise lors d’une manifestation contre l’arrêt de la Cour suprême britannique statuant qu’une femme se définit par sa biologie. « Une photo qui pue, littéralement », y ironisait Linehan. Dans un autre message, il a renchéri : « Je les déteste. Misogynes, homophobes. Qu’ils aillent bien se faire enculer. » Dans le troisième message, posté le lendemain, le 20 avril, on pouvait lire : « Un homme transidentifié qui pénètre un espace réservé aux femmes, c’est déjà un acte violent et abusif. Faites du bruit, appelez la police et, en dernier recours, visez les couilles. »

Cela a suffi pour que Graham Linehan soit placé en cellule, en attendant un interrogatoire prévu lors de sa prochaine entrée au Royaume-Uni. Dans un enregistrement de son arrestation, on entend un policier qualifier ses propos « d’incitation à la violence contre les personnes transgenres ». Foutaises. Je suis moi-même transgenre, et je comprends parfaitement l’inquiétude de Graham Linehan face à des hommes qui se camouflent derrière une prétendue identité trans pour s’imposer dans des espaces réservés aux femmes. Sans compter que la légitime défense est bel et bien prévue par la loi britannique.

Graham Linehan raconte que les policiers présents se sont montrés professionnels, et même courtois, mais que la plupart ignoraient totalement de quoi il retournait. Et pour cause : l’arrestation avait manifestement été soigneusement orchestrée, décidée ailleurs, sans doute plus haut. Les agents de l’aéroport sont censés protéger le public de véritables criminels – y compris de terroristes prêts à semer la mort et la destruction. Leur mission est, par nature, dangereuse. Or, ce jour-là, on les mobilisait pour exiger d’un humoriste qu’il s’explique sur… ses tweets.

Certes, certaines formules pourraient sembler puériles – « tu pues » est une insulte de cour de récré –, mais le Code pénal n’interdit pas aux adultes le « parler bébé ». Alors pourquoi diable la police est-elle intervenue ?

Linehan a tenté d’obtenir une précision en demandant à un policier ce qu’ils entendaient par « personnes trans ». Réponse : « Les personnes qui considèrent que leur genre diffère de celui qui leur a été assigné à la naissance. » Or, le genre n’est pas « assigné » à la naissance : c’est le sexe qui est observé et consigné. Mais ce fait objectif et essentiel a été éclipsé par un vocabulaire militant, diffusé au Royaume-Uni par des groupes de pression, comme Stonewall via leurs programmes de formation, jusqu’à s’imposer dans les politiques publiques. Résultat : une police gagnée par l’idéologie, prête à traquer les « vilaines pensées ».

La police de la pensée

L’épreuve a eu des conséquences physiques immédiates. Après une nuit blanche dans l’avion en provenance des États-Unis, Graham Linehan s’est retrouvé arrêté sans préavis, pour des raisons qu’aucune personne sensée ne pourrait juger compréhensibles. On l’a alors soumis à un interrogatoire sur des tweets vieux de quatre mois, chaque parole scrupuleusement consignée pour être éventuellement retenue contre lui. Quand une infirmière a constaté que sa tension artérielle dépassait les 20, il a été transféré à l’hôpital, où il a passé huit heures sous surveillance.

Tout ça parce que quelqu’un s’était offusqué de trois messages postés quatre mois plus tôt. Autrefois, une police plus avisée aurait sans doute balayé l’affaire d’un revers de main et conseillé au plaignant de s’abstenir de lire ce qui le dérangeait. Mais nous vivons décidément une drôle d’époque. Graham Linehan, de son côté, a été catégorique : « Une chose est désormais incontestable : le Royaume-Uni est devenu un pays hostile à la liberté d’expression, hostile aux femmes, et bien trop complaisant envers les exigences d’hommes violents, arrogants et abusifs, qui ont fait de la police leur milice personnelle. »

Il ne fait aucun doute que la police va devoir rendre des comptes. Hier, à l’annonce de l’affaire, le Royaume-Uni a été saisi de stupeur et d’indignation. J. K. Rowling s’est fait l’écho de nombreux citoyens en s’exclamant : « Mais bordel, qu’est-ce qui arrive à notre pays ? C’est du totalitarisme. C’est absolument consternant. »

Le Premier ministre, Keir Starmer, a lui-même critiqué l’intervention policière. Mardi 2 septembre après-midi, son porte-parole a rappelé que les forces de l’ordre devraient plutôt se concentrer sur « ce qui compte vraiment pour leurs communautés » : la lutte contre les incivilités, le vol à l’étalage, la délinquance de rue, mais aussi la réduction des crimes graves, comme les agressions au couteau et les violences faites aux femmes.

La situation est pour le moins embarrassante pour Keir Starmer, sur la scène nationale comme à l’international. En février dernier, depuis la Maison-Blanche, il avait assuré à Donald Trump être « très fier » de la liberté d’expression au Royaume-Uni, alors même que le vice-président J. D. Vance dénonçait une législation britannique muselant entreprises et citoyens américains. Plusieurs géants américains des réseaux sociaux ont d’ailleurs saisi la justice contre ces lois restrictives, tandis qu’Elon Musk a accusé Londres de pratiquer la « censure » et, après l’affaire Linehan, d’avoir basculé dans un « État policier ».

Nigel Farage, chef de file de Reform UK, compte bien porter l’affaire aux États-Unis. Cette semaine, il doit rencontrer les alliés de Donald Trump et témoigner devant la commission judiciaire de la Chambre des représentants, qui enquête sur l’impact des lois britanniques et européennes sur la sécurité en ligne et la liberté d’expression.

Entre-temps, Linehan a été relâché après interrogatoire, à condition de s’abstenir d’utiliser X – une injonction judiciaire revenant à lui interdire de s’exprimer. Si c’est cela la liberté d’expression dont Keir Starmer se disait « très fier », alors il lui faudra en revoir la définition. Car sans liberté d’offenser, il n’y a tout simplement pas de liberté d’expression.


Par Debbie Hayton (traduction par Peggy Sastre)

Debbie Hayton enseigne la physique dans le secondaire, où elle est aussi syndicaliste. Journaliste et autrice, son dernier livre, « Transsexual Apostate : My Journey Back to Reality », a été publié en 2024 chez Forum Press. Vous pouvez la suivre sur X (ex-Twitter).

* Cette article a été publiée pour la première fois par Le Point le 3 septembre 2025 : Polémique à Londres après l’arrestation d’un humoriste irlandais pour des tweets antitransgenres.

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