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Froid, gaz et chaos : au Royaume-Uni, l’électricité vacille

Les politiques environnementales durables méritent d’être saluées – après tout, nous avons la responsabilité de transmettre une planète en bon état à nos petits-enfants. Sauf que si les lumières s’éteignent lors des froides soirées d’hiver, l’avenir du Royaume-Uni risque de ne pas être vert, mais noir.

Une crise énergétique inédite frappe la Grande-Bretagne. Entre dépendance au gaz et nucléaire vieillissant, le pays flirte avec le black-out.

🇬🇧 🇺🇸 This piece was originally published in French. Online translation services will translate it into English.

La semaine dernière, la Grande-Bretagne a frôlé la pénurie d’électricité à seulement deux mille mégawatts près. Si 700 000 bouilloires supplémentaires avaient été allumées au même moment, les lumières auraient commencé à s’éteindre. Certes, cela représente encore pas mal de tasses de thé à préparer en parfaite synchronisation, mais la marge entre l’offre et la demande devient dangereusement mince. L’arrêt simultané de deux fournisseurs d’énergie aurait pu bouleverser profondément le quotidien au nord de la Manche.

Anticipant d’éventuels problèmes plus tôt dans la journée, le National Energy System Operator (NESO) britannique avait émis, à l’heure du déjeuner, un « Electricity Capacity Market Notice » (avis relatif au marché de la capacité électrique).

Essentiellement, cela consiste à rappeler aux principales centrales électriques leur obligation de produire l’électricité qu’elles se sont engagées à fournir, sous peine de sanctions financières. En tenant compte de la marge de sécurité – nécessaire pour parer à une défaillance imprévue d’un fournisseur –, la demande prévue de 44 695 MW aurait alors atteint 99,5 % de la capacité maximale anticipée, estimée à 44 910 MW. Soit une situation beaucoup trop tendue pour être honnête.

Point de rupture

Cet avis émis mercredi soir dernier était le troisième de cet hiver, révélant qu’un service public essentiel – l’électricité dans le réseau – se rapproche dangereusement du point de rupture. Une telle situation est inédite. Certes, les centrales à charbon de mon enfance n’avaient rien d’esthétique – et leur pollution était indéniablement catastrophique –, mais elles avaient le mérite d’être fiables. Le charbon, extrait des mines britanniques, pouvait être brûlé dans des centrales électriques locales dès que le besoin s’en faisait sentir.

Nous vivons aujourd’hui dans un tout autre monde. Ces dernières années, la politique énergétique britannique a été dominée par la quête du « net zero ». Pourtant, de simples déclarations d’intention ne suffiront pas à garantir notre sécurité énergétique. Le charbon fait désormais partie du passé – la dernière centrale électrique au charbon d’Angleterre a fermé ses portes l’année dernière –, tandis que notre parc nucléaire vieillissant fournit désormais moins d’énergie qu’auparavant. Dans le même temps, les investissements se sont orientés vers les énergies dites vertes, principalement les panneaux solaires et les éoliennes. Aujourd’hui, les fermes solaires et les parcs éoliens sont autant d’éléments familiers des paysages de la campagne britannique.

Si ces ressources renouvelables ont indéniablement leur utilité, le fait est qu’elles manquent cruellement de fiabilité. Mercredi dernier, le problème était évident pour quiconque mettait le nez dehors : le soleil s’était couché et l’air était relativement calme. Soit un scénario typique des froides soirées d’hiver, et cela ne date pas d’hier.

Les panneaux solaires ne produisent rien une fois la nuit tombée, tandis que l’ensemble des éoliennes du pays n’a généré que 4 000 MW, soit environ un quart de leur production enregistrée lors des journées plus venteuses en début de semaine. Dans le même temps, la baisse des températures a accentué le pic de demande habituel en début de soirée, au moment où la consommation domestique explose.

Les conséquences de la dépendance au gaz

Comment sommes-nous sortis de cette mauvaise passe ? En brûlant du gaz, et beaucoup. Les centrales électriques au gaz ont tourné à pleine capacité. Mercredi dernier, à 17 heures, plus de la moitié de l’électricité injectée dans le réseau provenait de turbines à gaz. Soit un marché favorable aux vendeurs. Comme le rapportait un expert dans The Times de Londres : « Les producteurs à la marge ont compris qu’ils pouvaient fixer les prix à leur guise. »

Mais même cela n’a pas suffi. Les centrales électriques britanniques auraient été incapables de répondre seules à la demande. Si la crise a vraiment été évitée de justesse, c’est grâce à l’importation de près de 7 000 MW d’électricité via les interconnexions avec le continent, dont 700 MW provenant du Danemark, 1 400 MW de Norvège et environ 3 000 MW de la France. Et le Brexit dans tout ça ?

Dans de telles circonstances, nous sommes également susceptibles de payer des prix exorbitants à nos voisins européens. La Grande-Bretagne se trouve dans une position défavorable pour négocier : sans l’électricité française, l’industrie britannique aurait dû cesser ses activités la semaine dernière, ou bien les foyers auraient été plongés dans le noir. La politique peut bien se parer de promesses séduisantes et de slogans accrocheurs, mais la science reste implacable. Comme je l’enseigne à mes élèves dans mes cours de physique, la production d’énergie utile ne pourra jamais dépasser l’énergie totale disponible en entrée.

Des réserves qui se vident

La Grande-Bretagne fait donc face à un problème de taille. Notre dépendance à la combustion de gaz ne constitue évidemment pas une solution durable. Même sans les objectifs de neutralité carbone fixés par le gouvernement, le Royaume-Uni n’est plus autosuffisant en gaz naturel : les réserves nationales sous la mer du Nord se sont considérablement amenuisées, nous obligeant désormais à importer du gaz, tout comme d’autres pays européens.

Nos années d’abondance nous ont laissés avec des infrastructures de stockage de gaz minimalistes pour gérer les approvisionnements que nous achetons sur les marchés mondiaux. Autre source de préoccupation : la Grande-Bretagne ne disposerait que d’une réserve équivalant à une semaine de consommation de gaz, tandis que la France, par comparaison, en aurait pour 17 semaines. Pour un pays aussi dépendant du gaz, tant pour produire de l’électricité que pour chauffer une grande partie des foyers, cette situation fait tout simplement froid dans le dos.

Dans des moments comme celui-ci, le manque de prévoyance et de planification a rendu le Royaume-Uni extrêmement vulnérable aux fluctuations des marchés et à l’imprévisibilité de la nature. Pourtant, les choses auraient pu être bien différentes. Le Royaume-Uni a été, autrefois, un pionnier mondial de l’énergie nucléaire.

Le tout premier réacteur commercial au monde a été inauguré dans le nord de l’Angleterre en 1956, et au début des années 2000, le nucléaire fournissait environ un quart de notre électricité. Aujourd’hui, cette part est tombée à environ 15 %, et la majorité de cette capacité devrait être mise hors service d’ici la fin de la décennie. Deux nouvelles centrales nucléaires sont en cours de construction, mais la première accuse déjà des retards, et les travaux de la seconde ne font que débuter. En attendant, la crise est bien réelle, et il devient urgent de trouver des solutions concrètes.

Un avenir en vert ou noir

Les petits réacteurs modulaires pourraient être déployés beaucoup plus rapidement sur les sites nucléaires existants, en étant directement connectés aux infrastructures déjà en place. Mais cela nécessite une véritable volonté politique. Il est tout bonnement inacceptable qu’un décideur s’imagine que, sous prétexte que les lumières sont restées allumées la semaine dernière, elles ne risquent pas de s’éteindre cet hiver et durant les suivants. Alors que l’abandon des combustibles fossiles s’accélère, il nous faut largement plus que des belles paroles pour garantir un approvisionnement électrique fiable au bout de l’interrupteur.

Certes, l’énergie nucléaire n’est pas une panacée, mais les coupures de courant sont un sacré poison. Un gouvernement incapable de subvenir aux besoins essentiels de sa population ne peut espérer contenir durablement le mécontentement ni prévenir les troubles sociaux qui en découleraient.

Ce qui s’applique aussi à l’approvisionnement en électricité. Les politiques environnementales durables méritent d’être saluées – après tout, nous avons la responsabilité de transmettre une planète en bon état à nos petits-enfants. Sauf que si les lumières s’éteignent lors des froides soirées d’hiver, l’avenir du Royaume-Uni risque de ne pas être vert, mais noir.


Par Debbie Hayton (traduction par Peggy Sastre)

Debbie Hayton enseigne la physique dans le secondaire, où elle est aussi syndicaliste. Journaliste et autrice, son dernier livre, Transsexual Apostate : My Journey Back to Reality, vient de sortir chez Forum Press. Vous pouvez la suivre sur X (ex-Twitter).

* Cette article a été publiée pour la première fois par Le Point le 17 janvier 2025 : Froid, gaz et chaos : au Royaume-Uni, l’électricité vacille.

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By Debbie Hayton

Physics teacher and trade unionist.

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