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Élections britanniques : comment J. K. Rowling chamboule la campagne

Il y a encore dix ans, personne n’aurait fait du sexe et du genre des questions au cœur du clivage gauche-droite au Royaume-Uni, mais nous sommes en 2024.

À quelques jours des législatives anticipées, la célèbre romancière a accusé les travaillistes de « laisser tomber » les femmes et pointé les incohérences de leur programme.

À l’heure où le Royaume-Uni s’apprête à se rendre aux urnes, la polémique sur les droits des personnes transgenres n’en finit pas de s’intensifier. Le week-end dernier, l’actualité aura été dominée par les projets de gouvernement du parti d’opposition travailliste, si jamais Keir Starmer était nommé Premier ministre. Sur le sujet, son programme électoral reste des plus vagues – peut-être à dessein ? Le parti s’est simplement engagé à moderniser, simplifier et réformer la loi sur la reconnaissance de genre, intrusive et dépassée, et à la remplacer par un nouveau processus. « Nous voulons préserver de l’humiliation les personnes transgenres qui méritent d’être reconnues et acceptées, tout en conservant la nécessité d’un diagnostic de dysphorie de genre par un médecin spécialiste, qui ouvrira l’accès au parcours de soins. »

Samedi matin, le Times of London nous donnait davantage de détails. Les travaillistes semblent vouloir moderniser le processus en supprimant l’obligation d’un changement de mode de vie. Les transitions médicales et sociales ne seront pas seulement facilitées, elles deviendront tout simplement facultatives. Daniel n’aura même plus besoin de devenir Danielle pour demander un certificat de reconnaissance de genre (GRC) et ainsi modifier tous ses documents légaux – y compris son certificat de naissance – pour y consigner que son sexe est identique à celui d’une femme.

Sa seule contrainte ? Obtenir l’avis d’un médecin, trop heureux de n’avoir qu’un formulaire à remplir pour le prix d’une consultation. Sans deuxième avis ni examen juridique de la demande – deux garde-fous que les travaillistes projettent d’abolir – la perspective est celle d’une auto-identification qui ne dit pas son nom.

Certes, le parti travailliste s’engage également à soutenir la mise en place de services réservés aux femmes, mais la promesse n’a aucun sens si n’importe quel homme est à même de rejoindre les rangs de la gent féminine. Un tel raisonnement spécieux aurait pu sans difficulté il y a encore cinq ans. Mais pas aujourd’hui. Dans un article pour le moins cinglant, J. K. Rowling a ainsi accusé le leader travailliste de « laisser tomber » les femmes. Elle se référait notamment à la mésaventure d’une de ses correspondantes écossaises, qui lui avait raconté avoir été traitée de réac et de transphobe pour avoir simplement demandé que sa fille reçoive des soins intimes dans un espace réservé aux femmes.

Et J. K. Rowling d’ajouter : « Si vous choisissez de répondre à de telles craintes par des faux-fuyants et du paternalisme, si vous vous acharnez à vouloir que les plus vulnérables adoptent vos croyances de luxe, qu’importe ce qui leur en coûtera, alors je ne peux faire confiance à votre formation politique et je n’en ai qu’une piètre opinion. »

Selon des informations parues cette semaine, Rachel Reeves, ministre des Finances au sein du cabinet fantôme travailliste, aurait proposé de rencontrer Rowling pour lui donner des « garanties » sur la protection des espaces réservés aux femmes. Si le premier parti d’opposition a peut-être été ébranlé par l’intervention de la célèbre romancière, l’incohérence de sa politique en matière de sexe et de genre ne semble aucunement compromettre ses chances de revenir aux affaires, et avec une large majorité qui lui permettra de faire à peu près ce qu’il veut.

Si, à gauche, les autres partis d’opposition sont plus cohérents, ce n’est pas dans le bon sens du terme. Les libéraux-démocrates – pressentis pour arriver troisièmes, avec de 40 à 60 sièges au Parlement – sont tout à fait intransigeants dans leur programme. Ils sont en effet prêts à « réformer le processus de reconnaissance de genre pour faire disparaître l’obligation d’un certificat médical, reconnaître les identités non binaires dans la loi et abolir le veto conjugal ».

Ce « veto conjugal » relève d’une rhétorique militante. Maris et femmes ne peuvent interdire à leur conjoint de faire une demande de GRC, mais ils sont protégés contre la conversion, sans leur consentement, du statut juridique de leur union – de mariage hétérosexuel à mariage homosexuel. À l’heure actuelle, la législation leur offre, et à juste titre, une voix au chapitre et prévoit un mécanisme par lequel l’un ou l’autre des conjoints peut demander le divorce avant la délivrance du GRC. Visiblement, les libéraux-démocrates se soucient beaucoup moins des maris et des femmes – et ce sont les femmes qui sont ici en général concernées – que de faire plaisir à la brigade LGBTQ+.

Il est peu probable que les écologistes dépassent la poignée de sièges – le système électoral britannique n’est pas tendre avec les petits partis – mais c’est sans doute pour le mieux. Sur la question de la reconnaissance de genre, les Verts sont sous emprise idéologique. Dans le monde imaginaire de leur programme, le sexe est facultatif.

« Le parti vert soutient l’auto-identification », peut-on y lire, « afin que les personnes trans et non binaires puissent être légalement reconnues dans le genre de leur choix, par le biais de l’autodéclaration. Nous sommes également favorables à l’abolition du veto conjugal conjoint, afin que les personnes trans mariées puissent obtenir leur certificat de reconnaissance de genre sans avoir à obtenir la permission de leur conjoint, et à une modification de la loi afin qu’un marqueur de genre X puisse être ajouté aux passeports pour les personnes non binaires et intersexes souhaitant y recourir. »

Parmi les grands partis, seuls les conservateurs, aujourd’hui au pouvoir, sont prêts à maintenir leur position sur la question du sexe. La reconnaissance de genre n’apparaît nulle part dans le programme des conservateurs. En revanche, le parti insiste sur le fait que :

« Le sexe biologique est une réalité. C’est ce que comprend l’écrasante majorité des citoyens de ce pays. Oui, nous avons des dispositions et des protections pour ceux dont l’identité perçue ne correspond pas à leur sexe biologique. Toutefois, nous ne permettrons pas que soient compromises la sécurité et l’intimité des femmes et des jeunes filles. »

Aussi, le parti s’engage à préciser que la protection du « sexe » dans la loi britannique sur l’égalité s’entende comme le sexe biologique. En outre, dans une opposition claire au gouvernement autonome d’Édimbourg, les conservateurs promettent de modifier la loi afin de garantir une seule et unique approche de la reconnaissance de genre dans l’ensemble du Royaume-Uni. Ainsi, l’Écosse ne serait plus en mesure de suivre sa propre voie – un stupéfiant renversement du processus de dévolution en œuvre depuis le rétablissement du Parlement écossais en 1999.

Reste que cette clarté politique ne semble pas aider les conservateurs dans les sondages. Le parti de Rishi Sunak devrait connaître sa plus cuisante défaite de l’époque contemporaine. Et la vie de Sunak n’est en rien facilitée par la montée en puissance du parti socialement conservateur Reform de Nigel Farage. Les électeurs exaspérés par les conservateurs, mais peu enclins à se tourner vers la gauche, disposent désormais d’une alternative plus à droite. Dans son « contrat » avec l’électorat, le parti Reform ne consacre que quelques lignes – et au quatrième paragraphe – à la question trans : « L’endoctrinement transgenre cause des dommages irréversibles aux enfants. »

Le parti s’engage également à interdire cette idéologie dans les écoles : « Pas de questionnement sur le genre, de transition sociale ou de changement de pronoms. Les parents doivent être informés des décisions existentielles de leurs enfants de moins de 16 ans. Les écoles doivent disposer d’installations non mixtes. » En dehors du système scolaire, de tels espaces seraient aussi imposés : « Les toilettes publiques et les vestiaires doivent être dotés d’installations non mixtes. »

Il y a encore dix ans, personne n’aurait fait du sexe et du genre des questions au cœur du clivage gauche-droite au Royaume-Uni, mais nous sommes en 2024. Lors du dernier débat entre Sunak et Starmer, le mercredi 26 juin au soir, il fut demandé aux deux hommes s’ils allaient « protéger le droit des femmes à disposer d’espaces non mixtes contre tous les hommes, qu’ils soient ou non titulaires d’un certificat de reconnaissance de genre ». Sunak n’aurait pas pu être plus clair : « Oui, sans la moindre ambiguïté. » Starmer, lui aussi, a acquiescé : « Oui, telle est ma réponse à cette question », avant d’ajouter : « Il y a un petit nombre de gens nés dans un genre auquel ils ne s’identifient pas, et je les traiterai avec dignité et respect. »

Mais est-il réellement possible de faire les deux quand certains de ces hommes transsexuels – parfois après un traitement hormonal et une chirurgie de réassignation sexuelle – se servent des espaces réservés aux femmes depuis des années ?

À l’approche des élections, il semble que la résolution de cette énigme incombe à Starmer. Et il a intérêt à trouver des réponses, et des bonnes, sinon J. K. Rowling sera là pour lui demander des comptes.


Par Debbie Hayton (traduction par Peggy Sastre)

Debbie Hayton enseigne la physique dans le secondaire, où elle est aussi syndicaliste. Journaliste et autrice, son dernier livre, Transsexual Apostate : My Journey Back to Reality, vient de sortir chez Forum Press. Vous pouvez la suivre sur X (ex-Twitter).

* Cette traduction a été publiée pour la première fois par Le Point le 30 juin 2024 : Élections britanniques : comment J. K. Rowling chamboule la campagne.

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By Debbie Hayton

Physics teacher and trade unionist.

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