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Élections législatives au Royaume-Uni : comment la « question trans » s’est trouvée sur la ligne de front

La question trans se placera sans doute au cœur du débat si jamais les conservateurs estiment qu’il s’agit d’un point faible du Parti travailliste – et un point sur lequel la gauche n’est en phase ni avec le bon sens ni avec l’opinion publique.

À l’heure actuelle, les conservateurs représentent le bon sens et l’opinion publique. Les travaillistes, la confusion et une « inclusion » mal ordonnée.

Au soir du 22 mai, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, annonçait que son pays se rendrait aux urnes le 4 juillet à l’occasion d’élections législatives anticipées. Avec un communiqué lu sous une pluie battante devant le 10 Downing Street, ce fut un sombre augure pour une campagne qui, selon toute probabilité, se soldera par l’éviscération de son gouvernement conservateur.

Au Royaume-Uni, la droite est désespérée – on peut même la dire aux abois. Qu’elle ait joué la « carte trans » avant même que ce prochain scrutin ne soit officiellement annoncé n’est donc peut-être pas si surprenant. De fait, voilà bien un sujet où elle a de quoi être en confiance par rapport à l’opposition. Pas moins de trois consultations ont été récemment rendues publiques, et toutes indiquent une envie générale de revenir à une appréhension traditionnelle du sexe et du genre.

Comment le gouvernement a préparé le terrain

D’abord – en décembre dernier –, il y a eu celle du ministère de l’Éducation sur l’accueil des « enfants en questionnement de genre » dans les établissements scolaires. Détail qui a son importance, l’initiative ne visait pas à soutenir les « enfants transgenres ».

Le gouvernement a été tout à fait clair à ce sujet : « Nous n’avons pas utilisé le terme “transgenre” pour qualifier des enfants. En vertu de la législation britannique, les enfants ne peuvent pas obtenir de certificat de reconnaissance de genre et ne peuvent donc pas changer de sexe légal. » Et voilà, emballez, c’est pesé ! Quant à l’identité de genre, elle y a été présentée comme une « croyance contestée », que bien des gens ne voudraient pas voir appliquée à eux-mêmes ni à d’autres.

Cette consultation s’est achevée en mars et nous attendons la réponse du gouvernement. Si ce dernier parvient à ses fins, il rappellera aux écoles, collèges et lycées leurs obligations légales spécifiques – liées au sexe biologique des enfants – et leur dira qu’il n’y a aucune d’obligation générale de permettre une transition sociale à leurs élèves. Les toilettes et les vestiaires seront strictement séparés en fonction du sexe biologique. Soit un simple rappel à la loi, mais une loi que bien des établissements ont négligée sous le couvert de l’« inclusion » – à savoir l’inclusion de garçons dans des espaces réservés aux filles.

Ensuite, en avril, le ministère de la Santé a lancé une consultation sur les changements à apporter à la constitution du NHS. Un processus de routine – programmé tous les dix ans – donnant au service de santé publique britannique ses grandes orientations générales. Une fois précisé que « nous définissons le sexe comme le sexe biologique », le document rappelle des clauses constitutionnelles antérieures indiquant que « les patients ne devraient pas être obligés de partager leur chambre avec des patients du sexe opposé ». Soit un changement majeur pour les personnes transsexuelles et ayant pour beaucoup subi une opération de réassignation sexuelle il y a de nombreuses années pour aujourd’hui bénéficier d’une reconnaissance juridique totale de leur « genre acquis ».

Enfin, en mai, moins d’une semaine avant l’annonce de Sunak, nous avons encore eu des nouvelles du ministère de l’Éducation. Cette fois-ci pour nous signaler que le gouvernement menait une consultation sur le mode d’enseignement des cours d’« éducation sexuelle et relationnelle » dans les établissements scolaires d’Angleterre. Les orientations finales seront « statutaires », alias obligatoires. Si un ultime doute subsistait quant à la philosophie du gouvernement, le voilà dissipé par la sévérité d’une consigne posant que, si les écoles sont tout à fait justifiées à aider les enfants à « s’interroger sur leur genre », elles ne doivent absolument pas « enseigner le concept d’identité de genre ».

Des désaccords parmi les travaillistes

Je suis à la fois enseignante et transsexuelle, raison pour laquelle de tels documents m’intéressent sur un plan autant personnel que professionnel. Je ne suis pas d’accord avec l’idée qu’il faudrait empêcher les enseignants d’aborder la notion d’identité de genre avec leurs élèves, mais je pense que des limites claires sont effectivement nécessaires dans la société. Si les services et infrastructures non mixtes ont un sens, alors il faut les relier au sexe, pas à de quelconques sentiments éthérés et subjectifs. Oui, les transsexuels doivent être protégés, mais pas en diluant les droits des femmes.

Les conservateurs ont fait connaître leur position, mais il nous faut maintenant attendre les élections. Si, comme prévu, le Parti travailliste de Keir Starmer obtient une majorité écrasante à la Chambre des communes, son nouveau gouvernement devra répondre à ces consultations. Une tâche qui promet d’être difficile, car, sur la question trans, le désaccord est particulièrement patent au sein de son parti.

Et, s’il prendra une direction, c’est l’opposé. Au début du mois, Anneliese Dodds, présidente du Parti travailliste, annonçait que sa formation souhaitait faciliter la transition de genre. Sans pour autant, probablement, revenir au processus d’auto-identification, désormais impensable au Royaume-Uni après le scandale ayant éclaté en Écosse quand, début 2023, un violeur de sexe masculin avait été placé dans une prison pour femmes.

À l’époque, le gouvernement écossais venait d’adopter une loi réformant la détermination de genre, réduisant la procédure à un simple exercice de cochage d’un formulaire. Et tout le monde avait prévu que ce droit allait s’étendre aux violeurs, à même de faire valoir leur nouveau « sexe légal » pour s’opposer à leur incarcération dans une prison pour hommes. La loi allait finalement être bloquée par le gouvernement britannique, au motif qu’elle était incompatible avec la législation du Royaume-Uni relative à l’égalité.

Si le projet actuel des travaillistes n’est pas de revenir à une pure et simple auto-identification – il faudra l’accord d’un médecin généraliste pour que la demande de changement de genre soit valide –, elle aura grosso modo le même effet. La nécessité d’un diagnostic médical de dysphorie de genre disparaît, tout comme celle d’un consensus de spécialistes. Idem pour le groupe d’experts juridiques qui, à l’heure actuelle, évalue de telles demandes.

Comme l’a précisé Dodds, les travaillistes souhaitent « moderniser la procédure de reconnaissance du genre, tout en protégeant les espaces réservés aux femmes biologiques. Cela implique la suppression des clauses futiles et déshumanisantes de la procédure d’obtention d’un certificat de reconnaissance de genre, tout en garantissant des protections essentielles ».

Un doux rêve. Aussi délirant que si on remettait entre les mains des médecins de famille l’obtention de la citoyenneté britannique en supprimant tout autre type d’examen et en continuant à soutenir mordicus que nos frontières n’ont jamais été aussi sûres. Mais voilà où nous en sommes.

Face à la clarté de Sunak, Starmer brouille les pistes

En déduire que les électeurs britanniques ont un choix manichéen – entre un Parti conservateur qui a les pieds sur terre et un Parti travailliste qui a la tête dans les nuages – serait bien trop simpliste. Il s’agit d’une question identitaire complexe et, dans une certaine mesure, les deux partis sont partagés sur le sujet. Cela étant dit, Sunak est très clair dans sa pensée : « Un homme est un homme et une femme est une femme. C’est une question de bon sens. »

Starmer, par contre, a l’habitude de brouiller les pistes et de se prendre les pieds dans le tapis. En 2021, il déclarait ainsi qu’il n’était « pas juste » de dire que seules les femmes ont un col de l’utérus. Et, pas plus tard que l’année dernière, on l’entendait dire que 99,9 % des femmes n’ont pas de pénis…

Depuis, Starmer est revenu sur l’histoire du col de l’utérus et a soutenu des projets visant à empêcher les femmes transsexuelles d’accéder aux services hospitaliers réservés aux femmes. Reste à savoir s’il s’agit d’un véritable changement d’avis ou d’une manœuvre électoraliste cynique.

Quand le Royaume-Uni se réveillera, le 5 juillet, Sunak ou Starmer sera Premier ministre. D’ici là, la question trans se placera sans doute au cœur du débat si jamais les conservateurs estiment qu’il s’agit d’un point faible du Parti travailliste – et un point sur lequel la gauche n’est en phase ni avec le bon sens ni avec l’opinion publique.


Par Debbie Hayton (traduction par Peggy Sastre)

Debbie Hayton enseigne la physique dans le secondaire, où elle est aussi syndicaliste. Journaliste et autrice, son dernier livre, Transsexual Apostate : My Journey Back to Reality, vient de sortir chez Forum Press. Vous pouvez la suivre sur X (ex-Twitter).

* Cette traduction a été publiée pour la première fois par Le Point le 30 mai 2024 : Élections législatives au Royaume-Uni : comment la « question trans » s’est trouvée sur la ligne de front. (archive)

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By Debbie Hayton

Physics teacher and trade unionist.

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